• Willy Ronis dans son appartement de la rue de Lagny, Paris 20ème (Février 2008)

    C'est un modeste appartement encombré de livres, de photos bien sûr, et aussi d’émouvantes aquarelles de Marie-Anne, son épouse disparue.
    C'est le domicile parisien de Willy Ronis.

    Du bureau collé à la baie vitrée, Willy Ronis domine le square Sarah Bernhardt, dans le quartier populaire de Ménilmontant. De temps à autre, résonnent des cris d’enfants. Ce sont les arrières-petits-fils des gamins de Belleville et de Ménilmontant, qu'il a immortalisés dans les terrains vagues ou sous les réverbères d’escaliers pentus, dans ce Paris en noir et blanc dont il a su si bien capturé l’âme frondeuse et la poésie urbaine.

    C’est là, avec son inaltérable bonne humeur que Ronis, charmant  vieillard au regard bleu, me reçoit pour un échange à bâtons rompus.
    Willy adore remonter le temps, en sortant, au hasard, des photos de ses réserves.
    Il se souvient de chacune des quelques 300.000 photos prises au cours de sa longue carrière. Il a toujours, pour chacune d'elles, une précision à donner, un infime détail à révéler, une anecdote à formuler.

    A l'époque de cette rencontre, il a déjà rangé son Pentax depuis 5 ans. Sans regrets, car sa vie de photographe aura quand même duré 75 ans !

    Je voulais avoir son avis d'expert sur le photo-blog Parisperdu que j'avais alors démarré depuis deux ans. Le déplacement était obligatoire, car par écrit,  il m'avait annoncé: "Je regrette fort de ne pouvoir répondre à votre blog, n'étant pas informatisé …".

    Ce jour là, nous n'avons pratiquement pas parlé du blog, très peu de technique …
    Il y avait beaucoup mieux à faire: nous avons parlé de notre passion commune, de notre attachement au secteur Nord-est de Paris, nous avons échangé des adresses, parlé des rues, des quartiers, des évolutions de la ville, du monde...

    Ce jour-là, quand Willy Ronis me dit : "Je n'allais jamais dans les beaux quartiers. Ce qui m'intéressait, c'étaient les scènes populaires", je comprends que si Paris était son principal territoire photographique, c'est un regard très particulier qu'il a voulu porter sur cette ville.

    Belleville et Ménilmontant étaient à l'époque des lieux en dehors des préoccupations, des lieux de dureté sociale, et le fait de déplacer son regard, d'aller là-bas était déjà en soi, une transgression. Car aller photographier Belleville ou Ménilmontant en 1951, 52, ou 53 c'est comme, aujourd'hui, poser son regard sur La Courneuve ou Montfermeil.

    Alors, ce jour-là, j'ai décidé que le regard de Parisperdu mettrait plus en avant les petites choses et les petites gens, que le faste et les grandes réalisations de notre capitale.


    >> Sur le banc avec Willy Ronis.

    >> Au téléphone: "Willy Ronis vous salue …"

     

     


    3 commentaires
  • Square Sarah Bernhardt, Paris 20ème


    Nous sommes au milieu des années 90 et ce-jour là, Willy Ronis me dit au téléphone: "Il fait beau, je vous propose que nous nous rencontrions dans le square, en bas de chez moi".
    En bas de chez lui effectivement car, des fenêtres de son appartement vous aviez une vue plongeante sur ce square Sarah Bernhardt, qu'il aimait tant.

    17 heures était l'heure du rendez-vous. C'était je crois, en juin ou tout début juillet. Par courtoisie, pour ne pas faire attendre Willy, je gagne le lieu du rendez-vous bien avant l'heure fixée. Mais en matière de courtoisie, ce Monsieur n'avait rien à apprendre de personne, aussi quand j'arrive sur les lieux, il est déjà là, assis sur un banc, au centre du petit square.

    De loin, je reste un moment à l'observer : il a son vieux Pentax sur les genoux, et je remarque qu'il tourne très souvent la tête sur la droite, vers le terrain de jeux des enfants.

    Soudain, tel le félin qui bondit sur sa proie, avec une vitesse et une dextérité déconcertante pour un homme de son âge, il place le viseur à son œil et prend deux ou trois clichés d'une scène où un jeune garçon, la tête en bas sur une balançoire, est poussé par une petite fille …

    Arrivé à sa hauteur, après les salutations, je demande à Willy ce qu'il vient de photographier. Il me répond laconiquement: "la vie".
    Et comme j'insiste pour en savoir un peu plus, il me rétorque:
    "Mais la vie, mon jeune ami, la vie tout simplement, rien que la vie, … mais c'est déjà pas si mal". Je n'en saurai pas plus …

    Mais maintenant que je repense à ce moment, je me rends compte que Willy me donnait, à cet instant, la clé de tout son prodigieux travail photographique. Tout au long de sa carrière, c'est en effet "la vie" qu'il s'est efforcé de saisir à travers son objectif. La vie au quotidien, simple mais sensible. Et il savait comme personne l'aborder avec empathie et lui donner cette touche de poésie qui transforme ces moments éphémères en éternité.


    >> Willy Ronis sur Parisperdu.

     

     


    4 commentaires

  • Mai 68 restera pour Elie une date importante, non pour les évènements qui marquèrent cette époque mais par le fait qu'il quitta alors, et en bons termes, son patron de la rue du Caire pour se mettre couturier à son compte, dans les hauts de Belleville.

    Elie s'installa près du métro Pyrénées aussi, avait-il coutume de dire qu'il avait atteint les Pyrénées en passant par "le Sentier" !
    Il occupait, au premier étage, un deux pièces que lui sous-louait son frère. C'est-là, dans un immeuble plutôt vétuste, qu'il implanta son atelier de "sur demi-mesure". Le terme ne figure pas au registre des métiers pour la bonne raison qu'à Paris, seul Elie a pratiqué cette activité.

    Elle consistait à fabriquer des costumes sur mesure à partir de vêtements "grands patrons", on dirait aujourd'hui XXL, souvent invendables et que lui cédait à bon prix son ancien employeur. Comme le costume n'était pas intégralement fabriqué "sur-mesure", Elie avait inventé le terme de "demi-mesure".

    Rapidement le bouche à oreille fonctionna et Elie fut obligé de chercher des sources d'approvisionnement complémentaires à celle de son ex-patron.
    Il faut dire qu'Elie avait le génie de la coupe et ne vivait que pour la couture. Aussi fallait-il le voir, tel un maître de ballet, le mètre-ruban autour du cou, la pelote d'épingles au poignet et la craie de couturier en main, tournoyer autour de son client pour lui ajuster au mieux sa tenue … ajouter un peu d'étoffe au niveau de la poitrine pour les messieurs à fort jabot ou au contraire en retirer pour ceux aux fesses plates …
    Pour le pantalon, il ordonnait au client de faire lui-même la mise en place de la "partie intime", en s'exclamant : "le fusil à gauche, s'il vous plaît, toujours à gauche, … !"

    Puis, à la fin de l'exercice pratique, Elie retrouvait rapidement son âme de commerçant : "Je te fais le second à moitié prix, crois-moi c'est une affaire" lâchait-il systématiquement, sans que l'on comprenne bien si la bonne affaire était pour le client … ou pour lui ?
    Mais vous aviez passé avec ce dôle de petit bonhomme un bon moment et vous repartiez toujours de la rue des Pyrénées, le cœur plus léger, … le portefeuille aussi.



    >> Denise, ouvrière en voie de disparition.

    >> Artisans, générations perdues.




    1 commentaire

  • Il ya tout juste 10 ans, Alain Finkielkraut publiait "L'imparfait du présent ".  
    Se retournant alors sur l'année 2001, c'est aussi sur le vingtième siècle qu'il jette un regard.

    En soixante-dix courts textes qui prélèvent des fragments de l'actualité de notre monde chaotique, l'auteur nous invite à nous adonner à ce difficile et salutaire exercice : penser par soi-même.

    "L'imparfait du présent " est une méditation sur notre temps, pour nous dire le monde moderne comme il le voit, c'est-à-dire soumis à quelques alternatives sommaires et dégradé par un certain nombre d'avilissements.

    Dix ans plus tard, rien ne semble avoir changé, nous vivons toujours dans ce même monde impitoyable où l'Argent l'emporte sur l'Humain.
    Car, en ce moment, si le monde fabrique de plus en plus de profit, de moins en moins de gens en profite !

     

    >> Lire aussi sur Parisperdu: "Carré des biffins".

     

     


    1 commentaire
  • Hall de l'immeuble 5C, dans l'un des quartiers Nord de la capitale.
    Mouss est au centre de l'image.


    On les appelle les "hitistes", littéralement les "teneurs de murs". Leur  nom est dérivé du mot “hit” qui en algérois signifie “mur”.
    Est hitiste, un jeune de sexe masculin, chômeur, adossé toute la  journée à un mur parce qu’il n'a pas plus d’espace personnel au domicile familial que d’espérance d’évolution dans la société. Le hitiste revient toujours squatter le mur nourricier qui l'a vu grandir, lui et ses congénères.

    En ce matin d'hiver, je pars dans les quartiers Nord de la capitale, à la rencontre de jeunes en galère, collectionneurs au mieux de petits boulots et tous marqués par l’échec scolaire.

    Je finis par croiser Mouss, 21 ans, qui cherche la voie qui lui permettrait de couper le cordon ombilical avec "les murs de chez lui" …

    Mouss est là, depuis des années, du matin jusqu'au soir, avec ses potes hitistes. Collés au mur toute la journée, ils regardent passer la vie …

    Mouss n'a jamais travaillé, n'a connu que l'ennui, le chômage, la petite délinquance aussi un peu… et les problèmes de logements: ils sont 8 dans le petit 3 pièces familial, … alors il est tout le temps dehors. Et il ne peut même pas déménager, "j'habite dans mes vêtements" dit-il, un brin désabusé.

    Alors Mouss n'en peut plus, depuis des années et des années il veut partir … ailleurs, n'importe où, mais ailleurs, … là  où il y aurait des activités et des occupations autrement plus épanouissantes …
    Mais il est où, cet ailleurs ?


    >> "C'est déjà ça …"

     


    2 commentaires


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique