A Belleville, la prégnance de sa légende a viré au mythe. Pour un habitant de Belleville, il est clair qu'il peut se sentir "d'ici" même si en fait il vient de tout à fait ailleurs, et que ce sentiment a tout à voir avec l’adhésion à l’histoire, vraie ou mythifiée, de ce quartier, dès lors que l’identité de ce lieu est reconnue comme une valeur.
Pierre Sansot définit l’habitant comme celui qui adhère au mythe de sa ville. Cette problématique intègre le rejet éventuel de l’identité trouvée à la naissance, et la "réaffiliation" à une identité consciemment choisie contre ces origines.
Mais, parce qu'il est souvent cité comme le "modèle français d’intégration pluriethnique", Belleville semble être beaucoup moins un mythe qu'une réalité, tant il a bel et bien réussit là où les ghettos échouent.
Ce succès est dû au respect général de la maxime selon laquelle "la liberté des uns s’arrête où commence celle des autres", et aussi à un mécanisme plus secret qui rend possible à cet endroit ce qui s’avère impossible ailleurs : la re-identification - à travers des bribes d’histoire mythifiée - à une légende fondatrice qui fait de Belleville un "quartier d’opposition".
Souvent simplement d’opposition à la tendance politique dominante du moment, mais plus subtilement de méfiance et d’opposition instinctive aux idées et aux façons d’être dominantes de l’époque, quelle qu’elle soit. Et c’est justement cela qui attire "les exclus".
Le "modèle bellevillois" d’intégration sociale des immigrés successifs — dont l’histoire est déjà longue — reposerait donc sur la facilité de transition offerte par l’identité rebelle bellevilloise aux immigrants. Ceux-ci, pour s’intégrer, se trouvent classiquement mis en demeure de réaliser la prouesse d’accepter la renonciation à leur identité d’origine tout en la conservant pour se sentir exister, le temps de parvenir à éprouver leur nouvelle identité comme "authentique".
La même attitude s’observe, bien que plus superficiellement, parmi les nouveaux arrivants d'aujourd'hui - les fameux bobos ou faubourgeois - qui font partie de la classe moyenne parisienne mais fuient l’ennui et le conformisme des beaux-quartiers.
Alain Schifres les a récemment croqués avec une joyeuse méchanceté :
"Une variété intéressante du Nouveau Parisien est le jeune faubourgeois à poil raide.
Le faubourgeois est un de ces pionniers qui, au nord et à l’est, disputent l’espace aux faubouriens. C’est qu’il ne veut pas vivre chez les bourges (le voudrait-il, il n’en a pas les moyens). Les bourges sont chiants, leurs femmes ont de petits sacs avec une chaîne dorée. Leurs rues, le soir sont des cimetières. Le rêve du faubourgeois est d’habiter un vrai quartier populaire. [...] À mesure qu’avance le faubourgeois, hélas, le faubourien recule. C’est que l’animal fait monter les prix comme il respire. Il est à la recherche du fameux tissu urbain, mais la ville se démaille à son approche.
[...] Il y a des signes qui ne trompent pas ; ils marquent la progression du faubourgeois. Ainsi nos alpages sont-ils devenus des hauts. On n’habite plus à Belleville mais les "hauts de Belleville".
A suivre …
>> Belleville: "East side story" (2/4)