Accordéoniste, Rue du Cardinal Guibert 75018- Paris - Juin 1997
Texte de Jacques Réda; Chronique: "Le Citadin" (1998)
"Je fuis l'accordéoniste yougoslave ... mais l'accordéoniste yougoslave me poursuit ... Je l'abomine, il m'abolit. Je suis indigné par ce genre de m'imposer des sons, alors que je voudrais m'absorber dans une idée, un projet, un souvenir ... ou rien. Et nous n'avons d'ailleurs parfois en commun que ce rien dont il me prive et qui le talonne, qu'il juge normal de combler avec son propre déficit musical.
L'accordéon n'est pas en cause. J'ai la plus grande estime pour Buster Moten, Ernie Felice ou Gus Viseur. Mais personne ne devrait en user comme on exhibe une tare, pour tâcher d'attendrir un public surpris et désarmé. Il me prend en otage, exerce le chantage comme un droit.
Probablement capable de s'adonner à une activité plus lucrative, pourquoi préfère-t-il la pratique d'un instrument qu'il n'a même pas appris ? Par ressentiment, je suppose. Pour punir à l'avance les gens que sa nullité refroidit. Réglé d'une autre manière, cet automate pourrait vendre agréablement des ananas ou des colifichets ...mais les Yougoslaves cherchent peut-être à contrôler un secteur musique. Plus ou moins folklorique, bien sûr.
Puis après tout ... je ne sais pas s'il est yougoslave, ou roumain, ou gitan, et ce qu'on identifie tant bien que mal dans ce qu'il exécute n'appartient à aucun répertoire précis. Un vrai Gitan aurait plus de classe, plus d'orgueil.
Il y a l'habillement pour tout indice, un style qu'en dépit de la diversité occasionnée par les siècles et les frontières, on rencontre également chez les nomades nés natifs de Montreuil ... On s'étonne d'être soi-même sensible à des nuances, souvent infimes, dans ces humbles variations sur le thème veston-pantalon de la lyrique vestimentaire occidentale. Il faudrait être exact, mais au prix de combien d'enquêtes, de quel abus de subtilités. En l'occurrence, je me suis laissé guider par un pantalon ... de teintes bitumineuses, et par un pull ... aussi décousu que la musique.
La langue, évidemment, résoudrait à souhait la question.
Mais l'accordéoniste ne parle ni ne chante ... Dieu merci !"
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