Angle des rues Ramponeau et Dénoyez, Paris 20ème
Menaces, intrusions, jets de pierres... à Belleville, un malaise profond s’établit entre nouveaux arrivés et anciens habitants. Avec d'un côté, une masse de républicains bon teint. De l'autre, quelques jeunes blacks ou beurs, et une triste situation, qui révèle le méchant climat d'insécurité régnant dans le quartier et l'exaspération qu'il suscite chez les nouveaux installés: commerces et artistes branchés en tête.
Au centre de tout cela, un océan de fantasmes dont la principale chimère s'appelle le "bourgeois-bohème" !
Le fameux bobo, les jeunes le voient partout, ils en parlent tout le temps, et ils ne l'aiment guère. Ecoutons Sélassié, un ado de Belleville: "Ici, on se mélange, on se supporte. Mais les bobos, eux, ils nous prennent de haut. Ils viennent avec leurs soi-disant Lumières, mais leur arrivée annonce des choses. Leur but, en fait, c'est de nettoyer le quartier et de nous envoyer en banlieue."
Cette haine un peu confuse du bourgeois étonne. Mais elle s'appuie sur une sourde réalité. Belleville est en effet, un territoire à part dans la métropole parisienne. On y retrouve des populations situées aux deux extrêmes de la pyramide sociale. D'un côté donc, les fameux bourgeois-bohèmes, qui investissent les anciens immeubles ouvriers remis à neuf. De l'autre, des familles maghrébines ou noires-africaines, regroupées dans les grands ensembles HLM. D'un côté, la constellation des bars «tendance» et des lofts pour bienheureux. De l'autre, des isolats comme la cité "Piat-Faucheur-Envierges", où se concentrent tous les stigmates de la précarité sociale : 17% de chômage, 22% de familles bénéficiaires d'aides sociales et une petite délinquance suffisamment ancrée pour que le quotidien des habitants soit rythmé par les descentes musclées de la police.
Entre ces deux mondes, les passerelles se sont peu à peu effondrées et on voit le quartier se «refermer» année après année. L'espace est devenu à la fois plus cher et plus restrictif. Auparavant, les logements étaient insalubres et la rue servait de salon. Maintenant, les nouveaux venus imposent leurs mœurs et leur argent. On ferme les passages, on pose des digicodes, on «protège» ses enfants en les envoyant à l'école privée.
Les petits délinquants ne cassent pas par hasard, même si leur révolte n'est pas formulée, ils sentent très bien qu'ils sont "persona non grata" et que la logique économique ne tardera pas à les chasser. Car, si les bourgeois-bohèmes sont souvent les premiers à se réjouir de la mixité colorée du quartier, leur arrivée massive se solde paradoxalement par l'éviction des classes populaires.
A suivre...