Elle a l'air d'une jeune fille à qui on donnerait le bon Dieu sans confession; cela tient sans doute à sa blondeur diaphane. Seules les sandales de saison corrigent cette impression de trop grande sagesse. Lui ressemble à ces hipsters qu'on a vu éclore ces derniers temps : lunettes à grosse monture noire, barbe fournie, sweat à capuche, bermuda en Jean et chaussures montantes. Ils appartiennent à deux mondes qui n'ont presque rien en commun, mais l'été, parfois, favorise les rencontres improbables. Car les gestes de tendresse parlent pour eux : ces deux-là sont "ensemble" comme on dit, quand on n'ose pas dire "amoureux".
Ce qui frappe, c'est leur léger tremblement, comme s'ils se sentaient menacés. L'explication arrive au bout de quelques minutes: elle doit le quitter, elle a un train à prendre.
Il voudrait la retenir. La kidnapper peut-être, dans un élan romantique. Lui proposer de ne pas se quitter, pas déjà; ils ont l'âge pour ce genre de "folie". Elle repousse tristement sa tentative : "Tu sais bien que ce n'est pas possible". Elle va rejoindre ses parents, elle n'a que 17 ans. On est très sérieux quand on a 17 ans.
Alors il l'accompagne sur le quai pour l'étreindre une dernière fois. Ils échangent à l'oreille une promesse qu'on n'entend pas, mais qu'on devine. Et puis elle monte, il la salue d'un baiser depuis le quai. Le train part. Quelques secondes plus tard, un SMS arrive. Je ne peux pas lire par-dessus l'épaule du jeune homme, mais là encore on devine l'échange : "Tu me manques déjà". II répondra : "Toi aussi".
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