• Belleville : " East side story" (3/4)


    A Belleville, la prégnance de sa légende a viré au mythe. Pour un habitant de Belleville, il est clair qu'il peut se sentir "d'ici" même si en fait il vient de tout à fait ailleurs, et que ce sentiment a tout à voir avec l’adhésion à l’histoire, vraie ou mythifiée, de ce quartier, dès lors que l’identité de ce lieu est reconnue comme une valeur.

    Pierre Sansot définit l’habitant comme celui qui adhère au mythe de sa ville. Cette problématique intègre le rejet éventuel de l’identité trouvée à la naissance, et la "réaffiliation" à une identité consciemment choisie contre ces origines.

    Mais, parce qu'il est souvent cité comme le "modèle français d’intégration pluriethnique", Belleville semble être beaucoup moins un mythe qu'une réalité,  tant il a bel et bien réussit là où les ghettos échouent.
    Ce succès est dû au respect général de la maxime selon laquelle "la liberté des uns s’arrête où commence celle des autres", et aussi à un  mécanisme plus secret qui rend possible à cet endroit ce qui s’avère impossible ailleurs : la re-identification - à travers des bribes d’histoire mythifiée - à une légende fondatrice qui fait de Belleville un "quartier d’opposition".

    Souvent simplement d’opposition à la tendance politique dominante du moment, mais plus subtilement de méfiance et d’opposition instinctive aux idées et aux façons d’être dominantes de l’époque, quelle qu’elle soit. Et c’est justement cela qui attire "les exclus".

    Le "modèle bellevillois" d’intégration sociale des immigrés successifs — dont l’histoire est déjà longue — reposerait donc sur la facilité de transition offerte par l’identité rebelle bellevilloise aux immigrants. Ceux-ci, pour s’intégrer, se trouvent classiquement mis en demeure de réaliser la prouesse d’accepter la renonciation à leur identité d’origine tout en la conservant pour se sentir exister, le temps de parvenir à éprouver leur nouvelle identité comme "authentique".

    La même attitude s’observe, bien que plus superficiellement, parmi les nouveaux arrivants d'aujourd'hui - les fameux bobos ou faubourgeois - qui font partie de la classe moyenne parisienne mais fuient l’ennui et le conformisme des beaux-quartiers.

    Alain Schifres les a récemment croqués avec une joyeuse méchanceté :
    "Une variété intéressante du Nouveau Parisien est le jeune faubourgeois à poil raide.
    Le faubourgeois est un de ces pionniers qui, au nord et à l’est, disputent l’espace aux faubouriens. C’est qu’il ne veut pas vivre chez les bourges (le voudrait-il, il n’en a pas les moyens). Les bourges sont chiants, leurs femmes ont de petits sacs avec une chaîne dorée. Leurs rues, le soir sont des cimetières. Le rêve du faubourgeois est d’habiter un vrai quartier populaire. [...] À mesure qu’avance le faubourgeois, hélas, le faubourien recule. C’est que l’animal fait monter les prix comme il respire. Il est à la recherche du fameux tissu urbain, mais la ville se démaille à son approche.

    [...] Il y a des signes qui ne trompent pas ; ils marquent la progression du faubourgeois. Ainsi nos alpages sont-ils devenus des hauts. On n’habite plus à Belleville mais les "hauts de Belleville".

    A suivre …

     

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  • Commentaires

    5
    Jeudi 5 Décembre 2019 à 18:55

    Oh oui Paris change à toute vitesse. J'ai connu Belleville il y a 50 ans quand j'étais petite et que j'allais passer le weekend chez ma grand mère. Je vis toujours à Paris et j'ai moins l'occasion d'y retourner mais la dernière fois, il y a deux ans, c'est presque si je ne reconnaissais rien. Merci pour cet article

    4
    Mardi 30 Avril 2019 à 17:30

    Paris, comme toutes les grandes villes françaises, change à vitesse grand V. Il y a 50 ans ce sont les parking qui occupaient le plus de place dans l'espace public. Maintenant il y a plus de verdure, plus de rue et places piétonnes, surement moins de pollution proportionnellement au nombre d'habitants. mais comme la pollution n'est au fond pas que proportionnelle il faut reconnaitre qu'en 50 ans, même en faisant assez attention, la situation est dramatique.  J'ai adoré votre article. née à Belleville en 1971, j'y ai vécu jusqu'au milieu des années 90 et ai bougé à Lyon.
    Emilie

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    3
    saso
    Mardi 6 Décembre 2011 à 13:47
    le Haut Paris
    à propos des "hauts de Belleville" évoqués dans le texte de Schifres, on pourrait noter que l'ancien bar "La Mer à boire" à l'angle de la rue Piat et la rue des Envierges a récemment changé de propriétaire et s'est fait appeler "Le Haut Paris" brièvement, depuis changé en "Le O Paris"
    2
    Mercredi 15 Juin 2011 à 09:49
    Merci et Bravo
    Paris change, Paris évolue, le blog Paris perdu nous propose de partir à la rencontre de ce Paris qui disparaît. Depuis 2005, Paris Perdu nous fait redécouvrir les recoins qu’on a souvent oublié mais aussi les conséquences de toutes ces évolutions. Ce n’est pas forcément un blog nostalgique mais surtout un blog passionné par la ville. Merci et Bravo à l'auteur.
    1
    Gérard L.
    Dimanche 12 Juin 2011 à 15:59
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