• La place des Fêtes,  novembre 2009 -  Paris 19ème

    En 1974, peu après son élection, Giscard d’Estaing attaque la politique des grands ensembles, en déclarant:"On a construit ou laissé construire des ensembles d’inspiration collectiviste, monotones et démesurés, qui ont sécrété la violence et la solitude. Rétablir la communication sociale interrompue par le gigantisme et l’anonymat sera une tâche majeure de notre société ".

    Les trente années qui suivirent donneront largement raison à Giscard d’Estaing, du moins concernant les "grands ensembles" en général.
    Mais, Place des Fêtes, au pied de tours de 26 étages, il semble bien finalement avoir eu tort, tant le démarrage fut difficile. Quand ces tours furent construites vers 1975, on hurla à l’assassinat d’un quartier et d’une culture populaire … et les tours, maudites, restèrent vides pendant trois ans.

    Mais aujourd’hui, la Place des Fêtes apparaît à ses habitants, comme un lieu qui se prête à la vie de village et l’image qu’en renvoient ses habitants est bien différente de celle à laquelle pourrait s’attendre le flâneur égaré au milieu des tours et des barres de béton.

    Place des Fêtes, on promène son chien, on rencontre des amis, on s'arrête deux minutes pour discuter avec l’un ou avec l’autre, tant il est rare que l'on traverse la Place sans rencontrer quelqu’un de connaissance.

    Il n'est pas sûr qu’il y ait beaucoup de places dans Paris comme celle-là. Ici, on a gardé le côté populaire du 19ème, un arrondissement qui a toujours été comme cela, avec des gens qui respirent la simplicité et le naturel.

    Et ceci est d’autant plus remarquable que de l’avis général il n’y a pas à cet endroit de "vraies fêtes", ni d’ailleurs de "vraie Place" : tout le mérite du lieu tient à ce qu’il focalise la volonté de tous pour que le mythe de Belleville vive, sinon Belleville mourrait, et Belleville, on y tient …

    A suivre.

     

    >> Voir aussi : "Mon point central c'était la Place des Fêtes".

     

     


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  • © Photo: Centre Social et Culturel J2P 

     

    Dans la sphère bellevilloise, les associations de quartier ont de, tout temps,  joué un rôle important.
    Dès la fin du XIXe siècle, la vie associative a été très riche à Belleville, avec les communautés ouvrières, puis cela a perduré avec les strates successives d’immigration: juifs ashkénazes, grecs et arméniens fuyant le génocide de 1915 ; espagnols antifascistes en 1939 ; et, après-guerre, celle des pieds-noirs et des juifs séfarades entraînant des musulmans qui leur étaient liés ; enfin l’immigration économique des portugais, yougoslaves, chinois et vietnamiens, maghrébins et africains.
    Belleville est une véritable mosaïque de nationalités, et beaucoup de ces communautés avaient et ont encore des associations d’entraide.

    Autre période aiguë, celle de la rénovation urbaine qui suscita l’apparition de mouvements de défense des habitants anciens, puis d’intégration des habitants nouveaux.

    Dans le Bas-Belleville, La Bellevilleuse a été d’une grande efficacité militante dans le domaine du logement et de l’exclusion.

    Un peu plus haut, l’association de la Place des Fêtes a fini par regrouper une vingtaine d’associations de quartier aux activités très diverses.
    Cette association fut l'un des protagonistes des luttes féroces - entre les riverains et les commerçants d’une part et la Ville, d’autre part - à propos de la "rénovation" de l’ancienne Place des Fêtes.

    La mairie d’arrondissement ayant demandé un seul interlocuteur pour traiter la question des équipements de quartier, le Groupement des Associations de la Place des Fêtes fut alors créé. Cela n’a pas empêché les commerçants de jouer au maximum leur rôle de "groupe de pression", ni la mairie du 19e de favoriser des expressions complémentaires, voire opposées.
    Mais la Ville de Paris refusa que les associations fassent partie du jury d’architecture, ceci constituant à ses yeux "un précédent dangereux". Aussi les associations publièrent dans le journal local "Quartiers Libres" leur propre classement des six projets retenus par le jury : le projet lauréat de la Ville, venait, pour elles, au troisième rang … !

    Suite à ce conflit, les élus de l’arrondissement et les directions de la Ville n’ont cessé de réduire, en face du projet, l’influence du Groupement, qui a pris à partir de 1991 une direction différente et qui l’a amené à œuvrer dans d'autres domaines : l'emploi, l'animation ...

    A Belleville, la vie associative fait définitivement  partie du décor …



    >> "Mon point central c'était la Place des Fêtes"

    >> La Bellevilleuse.

    >> Belleville: "East side story " (3/4)



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  • A Belleville, la prégnance de sa légende a viré au mythe. Pour un habitant de Belleville, il est clair qu'il peut se sentir "d'ici" même si en fait il vient de tout à fait ailleurs, et que ce sentiment a tout à voir avec l’adhésion à l’histoire, vraie ou mythifiée, de ce quartier, dès lors que l’identité de ce lieu est reconnue comme une valeur.

    Pierre Sansot définit l’habitant comme celui qui adhère au mythe de sa ville. Cette problématique intègre le rejet éventuel de l’identité trouvée à la naissance, et la "réaffiliation" à une identité consciemment choisie contre ces origines.

    Mais, parce qu'il est souvent cité comme le "modèle français d’intégration pluriethnique", Belleville semble être beaucoup moins un mythe qu'une réalité,  tant il a bel et bien réussit là où les ghettos échouent.
    Ce succès est dû au respect général de la maxime selon laquelle "la liberté des uns s’arrête où commence celle des autres", et aussi à un  mécanisme plus secret qui rend possible à cet endroit ce qui s’avère impossible ailleurs : la re-identification - à travers des bribes d’histoire mythifiée - à une légende fondatrice qui fait de Belleville un "quartier d’opposition".

    Souvent simplement d’opposition à la tendance politique dominante du moment, mais plus subtilement de méfiance et d’opposition instinctive aux idées et aux façons d’être dominantes de l’époque, quelle qu’elle soit. Et c’est justement cela qui attire "les exclus".

    Le "modèle bellevillois" d’intégration sociale des immigrés successifs — dont l’histoire est déjà longue — reposerait donc sur la facilité de transition offerte par l’identité rebelle bellevilloise aux immigrants. Ceux-ci, pour s’intégrer, se trouvent classiquement mis en demeure de réaliser la prouesse d’accepter la renonciation à leur identité d’origine tout en la conservant pour se sentir exister, le temps de parvenir à éprouver leur nouvelle identité comme "authentique".

    La même attitude s’observe, bien que plus superficiellement, parmi les nouveaux arrivants d'aujourd'hui - les fameux bobos ou faubourgeois - qui font partie de la classe moyenne parisienne mais fuient l’ennui et le conformisme des beaux-quartiers.

    Alain Schifres les a récemment croqués avec une joyeuse méchanceté :
    "Une variété intéressante du Nouveau Parisien est le jeune faubourgeois à poil raide.
    Le faubourgeois est un de ces pionniers qui, au nord et à l’est, disputent l’espace aux faubouriens. C’est qu’il ne veut pas vivre chez les bourges (le voudrait-il, il n’en a pas les moyens). Les bourges sont chiants, leurs femmes ont de petits sacs avec une chaîne dorée. Leurs rues, le soir sont des cimetières. Le rêve du faubourgeois est d’habiter un vrai quartier populaire. [...] À mesure qu’avance le faubourgeois, hélas, le faubourien recule. C’est que l’animal fait monter les prix comme il respire. Il est à la recherche du fameux tissu urbain, mais la ville se démaille à son approche.

    [...] Il y a des signes qui ne trompent pas ; ils marquent la progression du faubourgeois. Ainsi nos alpages sont-ils devenus des hauts. On n’habite plus à Belleville mais les "hauts de Belleville".

    A suivre …

     

    >> Bienvenue à Boboland.

    >> Belleville: "East side story" (2/4)

     

     

     


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  • La rue Jean-Moinon, Paris 10ème, en 1969.

    Le sentiment d’appartenance des habitants à Belleville joue un rôle tout à fait important dans l’accueil qu’ils font aux projets et travaux de rénovation de leur quartier, aussi l’histoire de Belleville est-elle riche en mésaventures immobilières et urbanistiques.

    Sur les hauteurs de Belleville, l'opération de rénovation urbaine des années 70, se solda par le départ de 6 500 habitants, pour beaucoup vers la banlieue, et dont 200 seulement trouvèrent le moyen de revenir.

    Cette déportation vide Belleville de sa population active, Belleville devient alors un quartier à part, abandonné, démoli, et se forge alors l’identité d’un isolat maudit, replié sur lui-même, fier de son originalité : accueillir les exclus de la Ville.

    Ce quartier, dont la légende est historiquement structurée par les combats de la Commune et le massacre final des Fédérés connaît un second épisode traumatisant avec cette rénovation urbaine effrénée qui marque fortement l’imaginaire des habitants de Belleville. Tant et si bien que des habitants aux origines bigarrées trouvent à utiliser la légende dans une dynamique exemplaire d’intégration pluriethnique.

    Malgré la profondeur du traumatisme subi par Belleville lors de la rénovation urbaine des années 70, on peut cependant observer aujourd’hui, que quarante ans après la condamnation du quartier à la démolition, vingt ans après l’achèvement des nouveaux édifices, le mythe de Belleville est toujours bien présent.

     A suivre …

     

     

    >> La rue Jean-Moinon est l'une des rares rues survivantes de la rénovation urbaine de Belleville, quarante ans plus tard, elle présente le même visage

    >> Belleville: "East side story" (1/4)

     

     

     


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    Il y eut une époque où le quartier de Belleville avait pour le parisien à peu près la même réputation que celle que peut avoir aujourd’hui le Bronx pour les new-yorkais.
    Bien que fortement atténuée par une considérable mutation urbaine et sociale, cette image perdure encore quelque peu de nos jours.

    Il n’est pas indifférent dans le destin de ce quartier qu’il se situe sur une colline.
    Paris compte en effet une demi-douzaine de collines: la Butte-aux-Cailles, Montparnasse, Montmartre, Belleville et Ménilmontant, … collines dont l’abandon aux classes pauvres, laisse à penser qu'à l’époque d'Haussmann, les sites en hauteur n’étaient pas dignes du nouvel urbanisme.

    Sur ces collines, restées à l’état de villages, avec leurs vignes, leurs asperges, leur bétail et leurs volailles, … le mode de vie rurale continua de résister longtemps. Leurs habitants se retrouvaient "à la campagne à Paris", nom que porte encore d’ailleurs deux ou trois quartiers pavillonnaires, désormais minuscules.

    Cette résistance rurale évolua ensuite par les renforts qu’apportèrent à ces collines des laissés-pour-compte et des mécontents de tout acabit, ceux-ci atterrirent ici non seulement pour des raisons foncières (le prix modéré des loyers), mais aussi pour des motifs politiques, ou tout au moins par une attitude de désapprobation de la société mercantile qui se construisait en bas. La classe dangereuse ruminait ses mauvais coups sur ses hauteurs, "prête à fondre sur les beaux quartiers ".

    Les points géographiques élevés possèdent pourtant des atouts pratiques certains (grand air, luminosité, vastes panoramas, territoire facile à défendre), ainsi qu’une psychosociologie spécifique car leur exiguïté et la difficulté d’accès leur donnent un caractère quasi-insulaire où l'on cultive sa différence.

    Concernant Belleville, l’agrément du paysage, vu du belvédère, pourrait avoir été si déterminant dans le caractère du lieu qu’il serait à l’origine même de son nom, dérivé de Beauregard (le nom de la butte de la Place des Fêtes à l’origine), en passant par Bellevue (encore de nos jours le nom d’une rue près de cette Place).

    Cette histoire urbaine mouvementée pose quelques problèmes quant aux représentations des habitants de Belleville par rapport au centre de Paris. Il y a certainement une identité bellevilloise, mais Belleville appartient clairement dans les esprits à Paris intra muros. L’ex-village et ancien faubourg regarde d'ailleurs d’assez haut la nouvelle banlieue.

    "Belleville", ce terme qui englobe de plus en plus Ménilmontant comme un sous-quartier, possède à la fois la réalité urbaine d’un noyau dur évident (de la Place des Fêtes vers le sud, le long de la rue de Belleville, jusqu’aux alentours du boulevard du même nom, axe réunissant le Haut-Belleville et le Bas-Belleville), et des limites subjectives floues.

    Si les habitants de la Place des Fêtes prétendent couramment habiter Belleville, il en va encore de même des riverains de l’Est de la Place Stalingrad, de l’autre côté des Buttes-Chaumont, où des personnes estiment habiter Belleville "à sa limite avec Paris", expression étonnante qui montre que certains de ses habitants limitrophes tiennent à bien distinguer Belleville de Paris !

    A suivre …

     

     

    >> Voir aussi : "Dans la jungle de Belleville".

     


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